Archives mensuelles : janvier 2023

Abandonner le chauffage collectif ? .. Possible ? .. Facile ?

L’abandon du chauffage collectif

Dans un contexte actuellement tendu du fait de l’inflation et la hausse des prix de l’énergie, le Gouvernement a mis en place le bouclier tarifaire afin d’en limiter les effets. Selon le Ministère de l’Economie et des Finances, pour le seul volet gaz, celui-ci devrait coûter 6 millions d’euros à l’Etat.

Grand délaissé des premières mesures, l’habitat collectif a été intégré par la suite au dispositif.

Parallèlement, plusieurs copropriétés, sous l’impulsion du conseil syndical (CS), tentent aussi de réduire par elles-mêmes la facture énergétique en envisageant l’éventualité d’une suppression du chauffage collectif au profit d’un chauffage individuel. Cette faculté offerte par la loi n’est cependant pas facile à mettre en œuvre sauf dans un certain cas.

I – La suppression du chauffage collectif : le principe de l’unanimité

Le chauffage collectif étant la propriété du syndicat des copropriétaires, sa suppression nécessite au préalable un vote en assemblée générale (AG).
Or, en tant qu’élément d’équipement commun qui participe à la destination de l’immeuble, et figurant donc au règlement de copropriété (RC), l’unanimité est requise en vertu de l’article 26 dernier alinéa de la loi du 10 juillet 1965 :

« Elle (l’AG)ne peut, sauf à l’unanimité des voix de tous les copropriétaires, décider l’aliénation des parties communes dont la conservation est nécessaire au respect de la destination de l’immeuble ou la modification des stipulations du règlement de copropriété relatives à la destination de l’immeuble. »

L’exigence de l’unanimité (justifiée par le respect de la destination de l’immeuble) pose une entrave non négligeable dans l’aboutissement de la résolution, la seule présence d’un absent à l’AG ou d’un unique vote défavorable ayant pour conséquence de faire avorter le projet.

II – Une exception : la suppression qualifiée d’amélioration

La haute juridiction, par une jurisprudence constante, admet que l’AG peut voter la suppression d’une installation hors d’usage à la double majorité lorsque celle-ci constitue une amélioration pour le syndicat. 
En ce sens , l’arrêt de la Cour de cassation du  9 mai 2012 n°11-16226 considère

« que l’installation collective d’origine n’était pas en mesure, depuis plusieurs exercices, de faire face à la demande d’eau chaude sanitaire dans l’ensemble des logements, et que les documents produits démontraient la faisabilité de l’installation d’un ballon d’eau chaude dans chacun des types d’appartements de la copropriété, la cour d’appel a souverainement retenu que la décision adoptée par les copropriétaires constituait une amélioration du fait des économies d’énergie occasionnées ainsi que des difficultés techniques et du coût de la remise en état d’une installation vétuste et a pu en déduire que la décision avait été régulièrement adoptée à la double majorité de l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965. »

Ainsi, la Cour de cassation retient deux critères cumulatifs afin de vérifier la présence ou non d’une amélioration pour l’opération :

  • la vétusté de l’installation ;
  • le coût disproportionné de sa remise en état ou l’existence de difficultés techniques.

On note que la Cour de cassation opère ici une appréciation au cas par cas.

Par ailleurs, il est raisonnable de s’interroger sur l’éventualité d’une atteinte à la jouissance des copropriétaires individuels dans l’hypothèse où la suppression du chauffage collectif viendrait modifier les modalités de jouissance des parties privatives. Là encore, la Cour a répondu que si son remplacement constituait une amélioration, l’abandon du chauffage collectif auprofit d’un chauffage individuel ne portait pas atteinte à la jouissance des parties privatives : CCas., Ch.Civ. 3°, du 13 décembre 1983, 82-14.804 :

« mais attendu que l’arrêt constate que les travaux litigieux tendent seulement à substituer, aux générateurs de chauffage et d’eau chaude collectifs, des chaudières murales à gaz avec simple raccordement aux conduites déjà existantes dans les gaines techniques et pose d’un compteur et d’un thermostat d’ambiance et que ces transformations, qui offrent l’avantage de réduire les frais de chauffage et de fourniture d’eau chaude tout en dotant chaque copropriétaire d’une complète autonomie, constituent une amélioration. »

Depuis la loi ALUR, les travaux d’amélioration, autrefois votés à la majorité de l’article 26, ont vu leur majorité abaissée à celle de l’article 25 (soit la majorité absolue) conformément à l’article 25 n) de la loi du 10 juillet 1965 : « L’ensemble des travaux comportant transformation, addition ou amélioration ».

Par ailleurs, l’Ordonnance n°2019-1101 du 30 octobre 2019 a également eu pour effet de supprimer l’impossibilité d’un second vote. A présent, conformément à l’article 25-1 de la loi du 10 juillet 1965, la résolution ayant recueilli au moins le tiers des voix de la copropriété pourra faire l’objet d’une seconde lecture immédiate  à la majorité abaissée de l’article 24 soit celle des présents et représentés.

Conclusion :

Dans les circonstances actuelles (crise de l’énergie, nécessite de faire preuve d’une attitude économe et responsable, inflation générale et prix exorbitant de l’énergie…) tout porte à croire que, jugeant au cas pas cas, la Haute Cour risque fort d’assimiler à une amélioration la plupart des projets tendant à abandonner un système de chauffage collectif au profit de chauffages individuels plus facilement maitrisables et faisant une part importante à la responsabilité de ses utilisateurs, et donc de faciliter l’abandon des installations anciennes de chauffage dans l’habitat collectif au profit de systèmes plus modernes et mieux maitrisés

Les décisions d’AG peuvent-elles être annulées alors qu’elles ont été exécutées ?

⚖️ CCas., Ch.civ. 3°, 24 novembre 2021, n° 20-22.487

Faits et procédure :

M. et Mme [U], M. [W] et la société civile immobilière (SCI) Dufer, ont assigné le syndicat des copropriétaires de la résidence (X) dans  laquelle ils sont copropriétaires en annulation

  • des assemblées générales (AG) des 2 novembre 2015 et 18 mai 2016,
  • de certaines résolutions  (6 et 7) adoptées lors de  ces AG
  • de l’AG  du 1er juin 2015.

Plusieurs décisions prises au cours de ces AG doivent être annulées car, au dire des requérants elles sont entachées de nullité en raison d’une violation manifeste des procédures qui ont présidé à leur adoption, et notamment

  • la désignation du syndic (société Cytia) au détriment de la société Laforêt. En l’espèce, deux résolutions successives étaient consacrées à la désignation d’un syndic (société Cytia et Laforêt). Après un second vote favorable obtenu au profit du syndic société Cytia, il avait été décidé que la résolution suivante (concernant la désignation du syndic Laforêt) était sans objet du fait de l’adoption de la résolution précédente. Or en procédant ainsi, la procédure décrite par les art. 25 et 25-1 de la loi du 10 juillet 1965, n’a pas été respectée : « l’assemblée générale doit, pour désigner le syndic, se prononcer sur chacune des propositions, d’abord à la majorité absolue de l’article 25 de la loi du 10 juillet 1965 puis, à défaut, à la majorité de l’article 24 de cette même loi ; qu’une irrégularité quant au vote portant désignation du syndic emporte l’annulation rétroactive de la résolution contestée ».
  • l’approbation et le vote de travaux alors que les devis proposés par les entreprises concurrentes  n’ont pas été joints à la convocation en violation des dispositions de l’article 11 du décret du 17 mars 1967 et que les règles posées notamment par l’art. 19 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967 ont en outre été  transgressées : « Pour l’application des articles 25-1 et 26-1 de la loi du 10 juillet 1965, lorsque l’assemblée est appelée à approuver un contrat, un devis ou un marché mettant en concurrence plusieurs candidats, elle ne peut procéder au second vote prévu à ces articles qu’après avoir voté sur chacune des candidatures à la majorité applicable au premier vote. »

Le 20 septembre 2018, le Tribunal de Grande Instance de Blois saisi en première instance a donné droit au Syndicat des copropriétaires et rejeté la demande des requérants au motif qu’il est impossible d’annuler ces résolutions, bien que litigieuses, car elles ont déjà pris effet.

Deux ans plus tard, le 21 septembre 2020 la Cour d’Appel d’Orléans a confirmé le jugement rendu en première instance en reprenant  les mêmes arguments.

Ainsi pour ces deux niveaux de juridiction la mise en oeuvre d’une décision prise en AG  prime sur son irrégularité

S’estimant lésés, les copropriétaires forment un pourvoi en cassation.

Question de droit :

Une résolution d’AG prise  de manière irrégulière et au mépris des dispositions légales, peut-elle être annulée alors qu’elle a été exécutée ?

Réponse du juge  :

A cette question, et sur chacune des « irrégularités » dénoncées par les requérants la Cour de Cassation, par un arrêt du 24 novembre 2021, a répondu par l’affirmative.

Elle casse et annule l’arrêt rendu par la Cour d’Appel d’Orléans au motif « qu’en refusant de prononcer la nullité des résolutions … relatives à la désignation de la société Citya en qualité de syndic au motif que le mandat donné au syndic avait été exécuté, après avoir pourtant retenu que la résolution (6) avait « été adoptée en violation des dispositions légales susvisées », la cour d’appel a refusé de prononcer la sanction attachée aux irrégularités constatées, privant ainsi de toute efficacité les règles énoncées aux articles 25 et 25-1 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 et à l’article 19 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, qu’elle a violés. »

La Haute Cour casse et annule les décisions relatives au vote de travaux  en reconnaissant « que la résolution prise sans qu’aient été jointes les conditions essentielles des contrats et devis proposés pour l’exécution des travaux projetés encourt la nullité ; qu’en refusant de prononcer la nullité de la résolution 12 de l’assemblée générale du 1er juin 2015 au motif que cette résolution avait été exécutée, après avoir pourtant retenu que cette résolution avait « été adoptée dans des conditions irrégulières », la cour d’appel a refusé de prononcer la sanction attachée aux irrégularités constatées, privant ainsi de toute efficacité les règles énoncées à l’article 11 du décret du 17 mars 1967 qu’elle a violé. »

Au visa de ces articles, la haute juridiction reconnaît que l’exécution d’une résolution adoptée en AG ne fait pas obstacle à son annulation. Pour la Cour de Cassation le respect de la régularité de la prise de décision doit primer sur son exécution.

Conclusion :

L’application stricto sensu de ces dispositions n’est pas sans conséquence notamment à l’égard des contrats qui auraient été souscrits de bonne foi par le cocontractant ou encore des travaux engagés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le législateur a introduit dans l’article 42 de la loi du 10 juillet 1965, l’obligation de la purge du délai de contestation pour l’exécution des travaux votés à la majorité absolue de l’article 25 et ceux votés à la double majorité de  l’art.26 :

« Les actions en contestation des décisions des assemblées générales doivent, à peine de déchéance, être introduites par les copropriétaires opposants ou défaillants dans un délai de deux mois à compter de la notification du procès-verbal d’assemblée, sans ses annexes. Cette notification est réalisée par le syndic dans le délai d’un mois à compter de la tenue de l’assemblée générale.


Sauf urgence, l’exécution par le syndic des travaux décidés par l’assemblée générale en application des articles 25 et 26 de la présente loi est suspendue jusqu’à l’expiration du délai de deux mois mentionné au deuxième alinéa du présent article. »