⚖️ Civ. 3e, 15 avr. 2021, FS-P, n° 19-25.748
Une assignation en justice, même délivrée avant l’expiration du délai d’un an prévu à l’article 1792-6 du code civil, ne peut tenir lieu de la notification préalable à l’entrepreneur des désordres apparus postérieurement à la réception.
Les faits :
Monsieur et Mme “Z“ se portent acquéreurs d’un logement neuf dans un immeuble collectif d’habitation pour lequel la réception des travaux est intervenue le 6 novembre 2014. Ils constatent très rapidement que le parquet de ce logement est exceptionnellement fragile et manifestement inadapté à des lieux de vie. Ils se tournent vers le Maître d’Ouvrage (MO) qui le 24 juillet 2015 assigne l’entrepreneur. Les moyens qui fondent l’assignation en justice sont doubles :
les désordres sont intervenus certes après la réception des travaux mais moins d’un an après celle-ci (art. 1792-6 CC)
l’entrepreneur a engagé sa responsabilité contractuelle en n’assurant pas sa mission de conseil auprès du MO à qui il aurait du signaler la fragilité du parquet posé et son inadaptation à l’utilisation envisagée.
Les questions de droit :
1 – L’assignation en justice pour désordres survenus et constatés avant l’expiration du délai d’un an prévu part l’art. 1792-6 vaut-elle notification des désordres considérés ?
2 – Le constructeur est-il tenu d’une obligation de conseil auprès du MO ?
Les réponses du juge :
Sur le premier moyen :
Dans un premier temps la Cour d’Appel saisie rejette les prétentions du MO au motif que les désordres n’ont pas été spécifiquement notifiés au constructeur préalablement à l’assignation.
Le MO décide alors de se pourvoir en cassation en argumentant que l’assignation a été délivrée dans l’année qui a suivi la réception des travaux, et qu’une assignation en justice vaut notification à son destinataire des prétentions qui y sont formulées.
La Haute Cour confirme la décision de la Cour d’appel en précisant “qu’en l’absence de notification préalable à l’entrepreneur des désordres révélés postérieurement à la réception, une assignation, même délivrée avant l’expiration du délai d’un an prévu à l’article 1792-6 du code civil, ne peut suppléer…“
Sur le second moyen :
La Cour d’Appel rejette la demande au motif qu’étant donné qu’aucun défaut de pose ou d’exécution n’’était imputable à l’entrepreneur, il était de la responsabilité exclusive du MO de choisir les matériaux utilisés.
La Cour de Cassation censure la décision de la Cour d’Appel en reconnaissant la responsabilité de l’entrepreneur pour manquement à son obligation de conseil. En effet il est de jurisprudence constante qu’une obligation d’information et de conseil incombe à tout installateur de matériaux ; celui-ci doit attirer l’attention du MO sur les inconvénients des produits choisis compte tenu de l’usage auquel ils sont destinés (Civ. 1re, 20 juin 1995, n° 93-15.801, D. 1996. 12). Ce n’est que lorsque le MO a les compétences suffisantes pour apprécier les propriétés du matériaux ou des procédés ou qu’il a délibérément accepté les risques, que le constructeur est exonéré de sa responsabilité. Mais cela suppose que l’entrepreneur ait délivré une complète information et l’ait mis en garde (Civ. 1re, 21 janv. 1997, n° 94-19.380, RDI 1997. 240)
Nos Recommandations et Rappels :
Rappel du fonctionnement de la “garantie de parfait achèvement“ :
A la fin d’un chantier, le Maître d’Ouvrage (MO) procède à la réception des travaux en présence du Maître d’oeuvre (entrepreneur ou artisan).
* Si rien d’anormal n’est relevé, les parties dressent un procès-verbal de réception. A cette date s’ouvre la “garantie de parfait achèvement“ (art. 1792-6 cc), qui impose à l’entreprise qui a réalisé les travaux de réparer tous les désordres susceptibles d’être signalés au cours de l’année qui suit la réception.
* Si lors de la réception des travaux sont constatés des désordres apparents dans la construction, ceux-ci devront être mentionnés dans le procès verbal de réception. C’est ce que l’on appelle les “réserves“. Les deux parties conviennent alors des modalités de reprise des désordres et notamment du délai dans lequel les réparations devront être effectuées. Si ce délai n’est pas respecté, le MO pourra saisir le tribunal judiciaire pour obtenir réparation. Il peut aussi, après mise en demeure demeurée infructueuse, faire exécuter les travaux par une autre entreprise, aux frais et risques de l’entrepreneur défaillant. Les travaux de remise en ordre pourront être effectués au delà du délai de 1 an.
* Si au cours de l’année qui suit la réception des travaux apparaissent des désordres non signalés précédemment, le MO devra les notifier (LRAR) à l’entrepreneur. Cette notification et la reconnaissance par l’entrepreneur de sa responsabilité dans les désordres survenus et notifiés, suspendent le délai de forclusion initial et ouvre un nouveau délai d’un an. Les travaux de remise en ordre pourront être effectués au delà du délai de 1 an.
Au delà de l’année au cours de laquelle court la garantie de parfait achèvement, tout signalement de désordre, toute action à l’encontre du constructeur fondée sur des désordres constatés trop tard serait irrecevable.
Remarque :
Attention à ne pas confondre : » Réception » et » Livraison »
– La » Réception » des Lots se fait entre le Maître d’Ouvrage ( MO ) et les » Entreprises ou Maître d’Oeuvre » qui ont effectués les travaux
– La » Livraison » des Lots se fait entre le Maître d’Ouvrage ( MO ) et les » Copropriétaires »