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L’action oblique du syndicat des copropriétaires

INC-Le Conseil syndical 267-227

C.Cas. 3°civ, 14 novembre 1985, n° 84-15.577

 

DÉFINITION DE L’ACTION OBLIQUE :

Il s’agit d’une action exercée par un créancier à l’encontre d’un débiteur de son débiteur afin de pallier l’inertie du débiteur qui compromet les droits du créancier (article 1341-1 du Code civil). Le créancier exerce les droits et actions du débiteur pour le compte de ce dernier.

En cas de carence d’un copropriétaire bailleur, le syndicat des copropriétaires a le droit d’exercer l’action en résiliation du bail dès lors que le locataire contrevient aux obligations découlant de celui-ci et que ses agissements qui causent un préjudice aux autres copropriétaires sont en outre contraires au règlement de copropriété.

LES FAITS :
Deux copropriétaires, Mme X et M. A ont donné à bail à la société ANLO plusieurs locaux à usage commercial et d’habitation dans un immeuble soumis au statut de la copropriété.

Sans aucune autorisation ni des bailleurs, ni de l’Assemblée Générale de la copropriété, la société locataire a transformé un local à usage d’habitation en cuisine de restaurant. Cette société a de plus exercé son activité commerciale dans des conditions qui nuisent à la tranquillité des copropriétaires.
Les bailleurs plusieurs fois alertés, n’ont pu obtenir qu’il soit mis fin à ces agissements. Dès lors le syndicat des copropriétaires a assigné la société ANLO et son liquidateur en résiliation du contrat de bail et expulsion.

La Cour d’Appel de Paris ayant fait droit à ces demandes (CA Paris, 12 juin 1984), la société ANLO et son liquidateur introduisent un pourvoi

LES QUESTIONS DE DROIT :
1 – Le syndicat des  copropriétaires peut-il agir en résiliation du contrat de bail alors qu’aucun lien de droit direct n’existe entre le syndicat et la société ANLO, locataire d’un lot constituant une partie privative. Le seul lien de droit existant est le contrat conclu entre les propriétaires bailleurs et la société locataire. cf. l’art. 1134 CC. “Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise“
2 – Le règlement de copropriété est-il opposable aux locataires ?

LA RÉPONSE DU JUGE :

1 – Aux termes de l’art. 1166 CC (rédaction 1804) “…les créanciers peuvent exercer les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux exclusivement attachés à la personne.“

2 – Chaque copropriétaire est responsable des agissements de ses locataires. Dès lors à partir du moment où les agissements des locataires causent préjudice aux autres copropriétaires, le fait pour le propriétaire de ne pouvoir parvenir à faire cesser les troubles constitue bien une carence légitimant le syndicat des copropriétaires à exercer l’action en résiliation du bail

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016  a réglé cette question en créant un art. 1341-1 qui stipule :
“Lorsque la carence du débiteur dans l’exercice de ses droits et actions à caractère patrimonial compromet les droits de son créancier, celui-ci peut les exercer pour le compte de son débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement rattachés à sa personne.“

On retiendra  que lorsque le copropriétaire est défaillant, la justice a reconnu la possibilité pour le syndicat des copropriétaires d’agir en justice sur la base de l’action oblique en de nombreuses affaires :

  • Pour expulser des squatters (CA Paris, 6° ch., C, 20 juin 2020, n° 1999/09131)

  • Contre le locataire d’un bailleur auteur de troubles de voisinage ( CA Paris, 16°ch., sect.B, 22 février 2007, n° 06/00147)

  • Pour demander la résiliation d’un bail en cas de violation du règlement de copropriété (C.Cas.3° civ., 22 juin 2005, N° 04-12.540 ; C.Cas., 3° civ., 22 juin 2005, n°04-12540 ; C.Cas., 3° civ.8 avril 2021, n° J 20-18.327)

Envoi des copies des justificatifs de charges par courrier postal

⚖️ Civ. 3e, 9 févr. 2022, FS-B, n° 21-11.197

Le syndic n’est pas tenu d’envoyer par voie postale une copie des pièces justificatives des charges de la copropriété aux copropriétaires qui en font la demande

Les faits :

Madame N. copropriétaire dans la copropriété X. gérée par le cabinet de syndic SARL MALLET Guy Immobilier, demande au syndic de bien vouloir lui adresser par courrier postal une copie des justificatifs de charges de copropriété. Madame N. joint à son courrier un chèque pour dédommagement des frais engagés par le syndic pour accéder à sa demande. Sans réponse du syndic et considérant que ce silence lui cause préjudice, Madame N. introduit une action en justice pour dédommagement du préjudice subi.

La question de droit :

Le syndic a -t-il l’obligation de transmettre par courrier postal,  une copie des justificatifs de charges de copropriété à tout copropriétaires qui en ferait la demande.

Là encore l’affaire donnera lieu à plusieurs recours.

Le 20 novembre 2020, la Cour d’appel de Limoges rejette la demande d’indemnisation de la requérante pour absence d’obligation en ce sens à la charge du syndic.

Madame N. décide alors de se porter devant la Cour de Cassation et de joindre sa requête aux moyens précédemment évoqués (Cf. art. sur “Qui peut demander la nullité du mandat de syndic ?“)

La réponse du juge :

Le juge de la Haute Cour reprend l’argumentaire développé par la Cour d’Appel :aucun texte à ce jour ne stipule l’obligation faite au syndic d’adresser par voie postale une copie des pièces justificatives des charges (énumérées à l’art. 18-1 de la loi du 10 juillet 1965) à tout copropriétaire qui en ferait la demande,

Dès lors la Cour conclut que si le syndic a l’obligation de remettre aux copropriétaires qui en font la demande une copie des pièces justificatives des charges, à défaut de texte prévoyant l’ obligation de les leur faire parvenir par voie postale, il n’est pas tenu de  les envoyer, fut-ce aux frais du copropriétaire.

La Cour de Cassation confirme ainsi la décision rendue précédemment par la Cour d’appel de Limoges et rejette le pourvoi introduit par Mme N.

C’est la première fois que la Cour de Cassation est amenée à statuer sur cette question

Rappel de l’ARC : depuis le décret de 2015 (décr. n° 2015-1907 du 30 déc. 2015) transposé dans l’art.9-1 du décret n° 67-223 du 17 mars 1967, les copropriétaires peuvent consulter les pièces justificatives des charges ainsi qu’il le leur est impérativement précisé dans la convocation à l’Assemblée Générale. Cette mise à disposition est obligatoire pour le syndic ; la durée de cette mise à disposition ne peut être inférieure à un jour ouvré et doit être appropriée à la taille de la copropriété. Le non respect de cette obligation par le syndic engage sa responsabilité.

Qui peut demander la nullité du contrat de syndic ?

⚖️ Civ. 3e, 9 févr. 2022, FS-B, n° 21-11.197

Tout copropriétaire peut agir en nullité du mandat de syndic en raison du non-respect par celui-ci, pour la période précédant le jour où il est devenu copropriétaire, de son obligation d’ouvrir un compte bancaire séparé.


Les faits :
Le 28 février 2013, Mme N. devient copropriétaire d’un lot dans la copropriété X. gérée par le cabinet de syndic SARL Mallet Guy Immobilier.
Dans les mois qui suivent son acquisition,  Mme N. en relisant les procès verbaux des Assemblées Générales tenues antérieurement à la date d’acquisition de sa qualité de copropriétaire, relève différentes fautes de la part du gestionnaire dont certaines, telle l’absence d’ouverture d’un compte séparé sont susceptibles d’entrainer la nullité de plein droit du mandat de syndic.
Madame N. décide alors  d’assigner la société SARL Mallet Guy Immobilier  en constatation de  la nullité de plein droit de son mandat de syndic et en indemnisation de ses préjudices.

L’affaire sera longue et donnera lieu à plusieurs recours.
En appel, dans un arrêt rendu le 26 novembre 2020, la Cour de Limoges considérera que Mme [M] n’était pas recevable à demander la nullité du mandat de syndic de la SARL Mallet Guy Immobilier “car dépourvue de qualité à agir pour la période antérieure au 28 février 2013, date à laquelle elle avait acquis la qualité de copropriétaire….“
Devant ce rejet, Mme N. décide d’introduire un pourvoi en cassation visant à faire annuler la décision de la Cour de Limoges

La question de droit :
Un copropriétaire peut-il agir en nullité du mandat de syndic pour méconnaissance de la part de celui-ci d’une de ses obligations fondamentales, en l’espèce l’ouverture d’un compte séparé au profit de la copropriété qui l’a mandaté, alors que le copropriétaire requérant n’était pas encore copropriétaire à la date de la forfaiture ?

La réponse du juge :
Le juge de la Haute Cour fonde sa décision sur plusieurs textes :

  • l’art. 18-II de la loi du 10 juillet 1965 qui liste les obligations incombant au syndic dont celle d’ouvrir un compte bancaire séparé au nom de la copropriété qui l’a mandaté
  • l’art. 31 du code de procédure civile qui stipule  : “ L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.“

Considérant que par sa décision,  la Cour de Limoges a violé ces deux textes, la Cour casse le jugement rendu en appel.
Il en ressort que tout copropriétaire  peut agir en nullité du mandat de syndic en raison du non-respect par celui-ci, de l’une de ses obligations fondamentales même si ce manquement a été commis pendant la période précédant le jour où le requérant est devenu copropriétaire à condition toutefois qu’il soit bien propriétaire à la date à laquelle il introduit sa requête car c’est cette qualité de copropriétaire qui fonde son intérêt à agir.

Respect de l’obligation de mise en concurrence

⚖️ Civ. 3e, 9 mars 2022, FS-B, n° 21-12.658

La mise en concurrence pour les marchés de travaux et les contrats autres que le contrat de syndic impose que lorsque plusieurs devis ont été notifiés ils soient soumis au vote de l’assemblée générale. La seule communication des devis ne suffit pas.

Les faits :

Dans la perspective de la réunion d’une Assemblée Générale (AG) le syndic avait notifié aux copropriétaires, dans la convocation qu’il leur avait adressée, plusieurs devis relatifs à la réalisation de travaux de ravalement de façade.

Lors de la tenue de l’AG un seul devis est mis au vote, celui retenu par l’architecte. La résolution est adoptée.

L’un des copropriétaires saisit le Tribunal pour annulation de la résolution en question au motif que seul le devis de l’architecte avait été mis au vote alors que d’autres devis avaient été notifiés.

La question de droit :

Elle est ici très simple. C’est celle de savoir si le fait de notifier divers devis aux copropriétaires lors de la convocation à l’AG, vaut ou non mise en concurrence

La réponse du juge :

La loi de 1965, puis le décret de 1967 posent en ce domaine plusieurs règles.

La loi du  n° 65-557 du 10 juillet 1965 stipule  en son article 21, al. 2 : L’assemblée générale des copropriétaires, statuant à la majorité de l’article 25, arrête un montant des marchés et des contrats à partir duquel la consultation du conseil syndical est rendue obligatoire. A la même majorité, elle arrête un montant des marchés et des contrats autres que celui de syndic à partir duquel une mise en concurrence est rendue obligatoire.

Le décret du 17 mars 1967 complète ces dispositions pour le cas où l’AG n’aurait pas fait le choix de fixer un seuil de déclenchement de la procédure de mise en concurrence en prévoyant dans un  art. 19-2  : “La mise en concurrence pour les marchés de travaux et les contrats autres que le contrat de syndic, prévue par le deuxième alinéa de l’article 21 de la loi du 10 juillet 1965, lorsque l’assemblée générale n’en a pas fixé les conditions, résulte de la demande de plusieurs devis ou de l’établissement d’un devis descriptif soumis à l’évaluation de plusieurs entreprises.

Ces textes donneront lieu à plusieurs interprétations.

  • En appel, le juge refusera l’argument du plaignant au motif que la convocation à l’AG comportait bien plusieurs devis ; que cette communication  avait permis aux copropriétaires de s’informer largement, de comparer les prestations proposées et donc de se prononcer en parfaite connaissance de cause sur le seul devis soumis in fine à leur vote. Pour lui la notification des devis valait mise en concurrence.

Insatisfait par la décision d’appel le plaignant décida de saisir la Haute Cour.

  • Celle-ci fit droit à sa demande en cassant la décision rendue en appel. Elle précisa en effet que la mise en concurrence ne « résulte » pas de la demande de plusieurs devis, mais est seulement entamée par cette démarche. La sollicitation de plusieurs devis relève de la demande de mise en concurrence. Elle ne saurait constituer la mise en concurrence elle-même. Sans doute le maître d’œuvre pourra-t-il le moment venu exprimer sa préférence et les raisons qui l’animent afin d’éclairer les copropriétaires mais, il ne saurait décider à leur place en choisissant, avec le syndic,  de ne soumettre qu’un seul devis au vote de l’AG.  En l’espèce que le maître d’œuvre (l’architecte) ait procédé à la comparaison et à l’appréciation des divers devis pour en sélectionner finalement un, ne constitue pas une réelle mise en concurrence. L’admettre serait priver l’AG de ses prérogatives décisionnelles et souveraines.

Responsabilité du syndicat des copropriétaires … ou responsabilité d’un copropriétaire

⚖️ Civ. 3e, 26 janv. 2022, FS-B, n° 20-23.614

Un copropriétaire peut agir en responsabilité délictuelle contre un autre copropriétaire en raison des dommages qu’il subit même si ces dommages  trouvent leur cause dans une partie commune dont celui-ci a la jouissance privative. 

Les faits :

L’espèce se situe dans un immeuble en copropriété dans lequel certains appartements jouissent d’une terrasse. D’après le règlement de copropriété et le régime traditionnel des terrasses et balcons en copropriété, ces terrasses sont déclarées “parties communes à jouissance privative“.

L’un des copropriétaires est victime d’infiltrations en provenance de la terrasse de l’un de ses voisins. Le copropriétaire lésé assigne son voisin en justice pour obtenir réparation de son préjudice.

La Cour d’appel saisie rejette la demande de la victime au motif que l’action intentée contre le propriétaire de la terrasse fuyarde aurait dû l’être contre le syndicat des copropriétaires. La demande est donc irrecevable car, argumente le juge du fond, “un copropriétaire n’a pas qualité pour répondre de désordres provenant de parties communes même s’il en est le gardien, et  quand bien même il en aurait la jouissance exclusive“.

Le conflit est alors porté devant la Cour de cassation

Le problème de droit :

Le syndicat des copropriétaires a-t-il seul qualité pour répondre du préjudice trouvant son origine dans les parties communes d’un immeuble dont un autre copropriétaire a la jouissance exclusive ? Ou bien l’action en réparation peut-elle être dirigée contre ce copropriétaire ?

La réponse du juge :

Ce cas d’espèce voit la mise en oeuvre des art 14 et 15 de la loi du 10 juillet 1965 :

Art. 14 al.5 : Le syndicat est responsable des dommages causés aux copropriétaires ou aux tiers ayant leur origine dans les parties communes, sans préjudice de toutes actions récursoires.

Art. 15 al. 2 : Tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d’en informer le syndic.

Le juge de la Haute Cour cassera la décision de la Cour d’Appel. En effet rappelle-t-il “la responsabilité du syndicat des copropriétaires au titre de l’article 14 de la loi du 10 juillet 1965 n’est pas exclusive de la responsabilité délictuelle encourue par un copropriétaire.“

Un copropriétaire peut donc agir directement à l’encontre d’un autre pour des dommages trouvant leur origine dans des parties communes même si celles-ci sont placées sous la garde et la jouissance exclusive d’un autre copropriétaire. Cette action se fonde  sur la théorie des troubles anormaux de voisinage ou de la responsabilité délictuelle.