Archives mensuelles : mars 2023

Qui assigner ? …Syndicat ou Syndic ?

⚖️ Cas.,3° Civ, 17 novembre 2021, n°20-21.482

Le copropriétaire victime de dégâts dont l’origine se trouve dans des parties privatives doit assigner le syndic gestionnaire en tant que représentant du syndicat des copropriétaires.

Les faits:

Monsieur N. est copropriétaire dans la copropriété (X) gérée par le syndic “Quadral immobilier“.

Monsieur N. se plaint d’infiltrations provenant d’une terrasse relevant des “ parties communes“ d’après le règlement de copropriété de la résidence. Le 11 septembre 2018,Monsieur N. assigne la société Quadral immobilier, « ès qualités de syndic de la copropriété » en condamnation à effectuer les travaux de réfection de la terrasse fuyarde.

Dans un arrêt du 9 juillet 2020, la Cour d’Appel de Metz, déclare l’irrecevabilité de l’action au motif que si l’assignation délivrée le 11 septembre 2018 a été délivrée à la société Quadral immobilier, ès qualités de syndic de la résidence (X), aucun acte n’a été délivré au syndicat des copropriétaires lui-même. La Cour en conclut que les actions en justice doivent être diligentées contre le syndicat des copropriétaires et non directement contre son syndic.

Monsieur N. contestant la décision redue par la Cour d’Appel, introduit un pourvoi devant la Haute Cour au motif “que le syndic représente le syndicat des copropriétaires ; qu’en l’espèce, pour déclarer irrecevable l’action de M. [N], la cour d’appel a retenu que si l’assignation délivrée le 11 septembre 2018 a été délivrée à la société Quadral immobilier, ès qualités de syndic de la copropriété (X), aucun acte n’a été délivré au syndicat des copropriétaires lui-même ; qu’en statuant ainsi, alors que le syndic avait été assigné non pas à titre personnel mais ès qualité de représentant du syndicat de copropriété, la cour d’appel a violé les articles 15 et 18 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965“.

Or, que disent respectivement ces textes au sujet des structures impliquées  :

  • art. 15 : Le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu’en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l’immeuble.“
  • art. 18 : “Indépendamment des pouvoirs qui lui sont conférés par d’autres dispositions de la présente loi ou par une délibération spéciale de l’assemblée générale, le syndic est chargé, dans les conditions qui seront éventuellement définies par le décret prévu à l’article 47 ci-dessous :….de représenter le syndicat dans tous les actes civils et en justice dans les cas mentionnés aux articles 15 et 16 de la présente loi…“

La question de droit :

L’action en justice introduite par un copropriétaire pour condamnation à exécution de travaux de réparation sur des parties communes d’un immeuble géré en copropriété doit-elle être introduite contre le syndicat des copropriétaires ou contre le syndic gestionnaire ?

La réponse du juge :

La Cour rappelle d’abord qu’au terme de l’art. 15 de la loi du 10 juillet 1965 “le syndicat des copropriétaires a qualité pour agir en justice tant en demande qu’en défense“. Il précise ensuite que  “selon le second (art. 18), le syndic est chargé de représenter le syndicat dans tous les actes civils et en justice“.

Elle conclut : “En statuant ainsi alors qu’elle (la cour d’appel) avait relevé que le syndic avait été assigné en qualité de syndic du syndicat des copropriétaires, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés car le syndic avait été assigné non pas à titre personnel mais ès qualité de représentant du syndicat de copropriété“.

La Haute Cour casse et annule la décision rendue en appel par la Cour de Metz le 9 juillet 2020, remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Colmar .

Troubles de voisinage et responsabilité

Chers voisins ...

⚖️ Civ. 3e, 16 mars 2022, FS-B, n° 18-23.954

L’action fondée sur un trouble anormal du voisinage est une action en responsabilité civile extra-contractuelle indépendante de toute faute ; elle permet à la victime de demander réparation au propriétaire de l’immeuble à l’origine du trouble, responsable de plein droit.

Les Faits :

En 2017,  Monsieur et Madame F. acquièrent aux consorts G. un pavillon dans un quartier pavillonnaire. Dès leur acquisition soit le 25 janvier 2017, ils contractent une assurance “multirisques habitation“.

Madame X. usufruitière d’un pavillon voisin du leur, constate chez elle des infiltrations d’eau qu‘elle identifie comme provenant du pavillon de Monsieur et Madame F.  Elle déclare alors à son assureur un “dégât des eaux“ et assigne ses voisins sur le fondement de la théorie des troubles anormaux de voisinage.

L’affaire fera l’objet de plusieurs recours en appel puis en cassation

La Cour d’appel, se fondant sur les arguments avancés par Madame X.

  • déclare les époux F. responsables dans la proportion de 60% des désordres constatés  dans le pavillon  de Madame X.
  • rejette les demandes adressées par les époux F. à leur assureur au motif que la cause à l’origine du dommage est antérieure à la date de souscription de l’assurance. En effet des travaux d’investigation en recherche de fuite ont établi que celles-ci provenaient du réseau de canalisations enterrées et remontaient aux années 1997 et 2005, donc très en amont du 25 janvier 2017 date de la souscription de l’assurance multirisques par les époux F.
  • considère enfin que les conditions générales du contrat d’assurance souscrit par les époux F. ne couvrent pas les dommages provenant d’une canalisation enterrée chez l’assuré et qu’il s’agit là d’une clause de non-garantie, laquelle n’a pas à répondre au formalisme édicté par l’article L. 112-4 du code des assurances

Les époux F. introduisent alors un pourvoi sur les  moyens suivants :

  • le vendeur est responsable du trouble anormal de voisinage causé par l’immeuble vendu avant la cession ; dès lors, les consorts G. qui étaient propriétaires du bien aux dates où les premiers désordres ont été constatés (1997 et 2005) doivent nécessairement assumer une part du dommage causé.
  • la garantie déclenchée par le fait dommageable couvre l’assuré contre les conséquences pécuniaires des sinistres survenus entre la prise d’effet initiale de la garantie et sa date de résiliation ou d’expiration. Or, en l’espèce, la cause génératrice du dommage réside dans un événement continu puisqu’elle est constituée par des fuites d’eau intervenues depuis 1997 sur des canalisations enterrées de la propriété acquise par les assurés, fuites qui se sont poursuivies après la vente survenue en 2017, donc pendant la prise d’effet de l’assurance souscrite par les nouveaux propriétaires. Dès lors l’assureur est tenu à garantie.
  • pour être valables, les clauses d’exclusion de garantie insérées dans une police d’assurance doivent être formelles et limitées. Or, en l’espèce, d’une part, les conditions particulières du contrat d’assurance stipulaient que l’assureur garantissait la réparation pécuniaire des dommages causés par les “dégâts des eaux”, et que les exclusions ne mentionnaient pas expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, de telle manière que ces dernières ne faisaient l’objet que d’une exclusion indirecte

Les problèmes de droit :

  • En matière de responsabilité, la responsabilité se fonde soit sur un contrat soit sur une faute. En matière de “troubles anormaux de voisinage“, quel est le fondement de la responsabilité ?
  • En matière d’assurance quel est l’évènement déclenchant de la garantie ?
  • Quelles sont les conditions de validité des clauses d’exclusion de garantie ?

Les réponses de la Haute Cour :

  • Sur la responsabilité, Le juge de Cassation constate que la Cour d’appel a reconnu elle-même que le trouble était causé par des conduites fuyardes, dont les premiers désordres remontaient à 1997 puis à 2005, donc à une époque où les époux F. n’étaient pas encore propriétaires du pavillon à l’origine du sinistre. Ainsi en imputant aux seuls époux F. propriétaires depuis 2017 seulement, la responsabilité du trouble anormal de voisinage considéré, la cour d’appel, n’a pas tiré les conséquences légales qui découlaient de ses propres constatations ; elle  a violé le principe en vertu duquel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Pour cette raisonna Haute Cour casse la décision de la Cour d’appel.

On retiendra que cette responsabilité de nature “objective“, engage la propriétaire du seul fait qu’un trouble anormal de voisinage émane de son fonds. Peu importe qu’il ait ou non commis une faute, il est responsable de plein droit en sa seule qualité de propriétaire. Ce régime de responsabilité objective se justifie par le risque créé ou le risque-profit  : là où est le profit, est la charge “ubi emolumentum, ibi onus“.

La Cour de Cassation a clairement affirmé qu’il s’agit là d’une action en responsabilité civile extracontractuelle (Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-22.474), qui n’est pas cantonnée aux rapports entre propriétaires. La jurisprudence retient une conception extensive de la notion de voisin : il n’est pas nécessaire que le voisin soit propriétaire du fonds. Seul importe le fait qu’il l’occupe. Il peut ainsi parfaitement s’agir d’un locataire (Civ. 3e, 17 avr. 1996, n° 94-15.876 ;  Civ. 2e, 31 mai 2000, n° 98-17.532, D. 2000. 171 ; 14 avr. 2016, n° 15-17.413) ou d’u usufruitier.

  • Sur le déclenchement de la garantie, la Cour de Cassation retient l’argumentaire des époux F. relativement à la garantie organisée par l’assurance : dans notre affaire, “la cause génératrice du dommage résidait dans un événement continu puisqu’elle était constituée par des fuites d’eau intervenues depuis 1997 sur des canalisations enterrées de la propriété acquise par les assurés, fuites qui s’étaient poursuivies après la vente survenue en 2017 », donc pendant la prise d’effet de l’assurance souscrite par les nouveaux propriétaires. En rejetant le principe de cette garantie, la Cour d’Appel a violé l’article L.124-5 du code des assurances. La Cour de cassation casse donc la décision des juges du fond pour violation de la loi. Elle souligne en outre que « selon ce texte, la garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation », et que, « dans les assurances “dégâts des eaux”, l’assureur est tenu à garantie, dès lors que le sinistre est survenu pendant la période de validité du contrat d’assurance »
  • Sur la validité des clauses d’exclusion de garantie, la Haute Cour rappelle d’abord que “les clauses des polices édictant des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents“ (art. L. 112-4). Elle souligne de plus, qu’au terme de l’art. L. 113-1, elles doivent être “formelles et limitées“. Elle en conclut que les juges du fond ont privé leur décision de base légale en ne recherchant pas “comme il le leur était demandé si les exclusions de garantie mentionnaient expressément les dégâts des eaux provenant de conduites enterrées, à défaut de quoi ceux-ci faisaient l’objet d’une exclusion indirecte“. Pour ces raisons la Cour de cassation casse la décision de la Cour d’appel en rappelant que le code des assurances encadre très strictement la validité des clauses d’exclusion de garantie dans un souci de protection du souscripteur.